S'il y a une scène de cinéma que je ne suis pas prêt d'oublier, c'est celle de la bibliothèque. Dans le film Seven, l'inspecteur William Somerset joué par Morgan Freeman rentre dans cette mine de connaissances accueilli par les gardiens qui passent leur nuit à jouer au poker. Ne vous y fiez pas, ils savent aussi écouter Bach. On est cultivé chez nous. Somerset fait quelques recherches pour filer un coup de main à l'inspecteur Mills récemment débarqué à New-York et mis sur l'affaire du tueur aux 7 pêchés capitaux. Il lui prépare un échantillon du Purgatoire de Dante, des Contes de Canterbury ou encore du Dictionnaire du Catholicisme comme une aide à l'immersion pour une meilleure compréhension de l'enquête sur laquelle il peine à travailler. L'inspecteur Mills, étant ce qu'il est, aura vite fait de qualifier ces documents comme "de la poésie de pd de merde".
Auteur : Geoffrey Chaucer
Ouais, sauf que moi, poésie de pd de merde ou pas, j'ai toujours voulu savoir ce qui se cache dans ces pavés de bouquins qu'on ne va pas instinctivement essayer de dénicher dans nos librairies. il m'aura fallu 10 ans pour en trouver le courage. La Divine Comédie, Le paradis Perdu, Les Contes de Canterbury : me voilà avec tout ce merdier sous le coude. Maintenant, il va peut-être falloir s'accrocher, car j'imagine que ce genre de truc n'es pas fait pour les branleurs de première zone.
Canterbury, c'est une bourgade d'Angleterre. Les pèlerins que l'on va suivre font faire route vers le sanctuaire de Thomas Becket dans la cathédrale de la ville. Mais qui sont-ils ? Ils sont 29 personnages réunis autour de l’hôtelier la veille de leur départ. Il y a un chevalier, un meunier, un moine, un curé, un écuyer, une bourgeoise, un marin, un universitaire et bien d'autres. Tous vont faire route vers Canterbury et comme la route est longue et qu'ils n'ont pas la 4G, ils ont peur de s'emmerder en chemin. Voilà alors que leur hôte leur fait une proposition :
"Chacun de vous pour écourter la route dira tout en chevauchant deux histoires [...] d'aventures qui se sont passées jadis. Celui qui s'en sortira le mieux aura un dîner payé ici à l’hôtel quand nous reviendrons de Canterbury."
Et c'est oci que commencent une liste d'histoires poussiéreuses, pénibles et incompréhensibles. Et bien pas du tout. Car à ma grande surprise, les histoires sont pour la plupart très drôles avec un bon gros côté paillard bien dégueulasse. Par exemple dans le Conte du Meunier, un étudiant charpentier veut se taper la femme de son maître et organise un bordel sans nom pour y arriver et finir le cul à la fenêtre brûlé par un tisonnier.
Par exemple encore, le conte du Frère accuse les huissiers d'être comme nos banquiers ou notaires d'aujourd'hui, des voleurs. Ils vont soutirer du pognon à une pauvre femme afin de lui éviter le tribunal pour avoir tripoté un homme d'église. Sauf que l'un des huissiers est en fait un démon de l'Enfer. La femme répond à l'autre d'aller au Diable. Il accepte. Le démon la prend au mot et emporte le premier huissier en Enfer pour lui faire subir mille tortures. Vous saurez quoi faire maintenant si le banquier vous refuse un prêt.
Chaque conte est ouvert par un prologue (parfois plus long que le conte lui-même) et se termine par des discussions et querelles entre nos 29 zouaves. La traduction française fait que les rimes ne sont pas respectés par rapport au texte anglais mais finalement, la rythmique de lecture s'installe même si on lit pas ça comme un article sur Culturemania.
Le plus épatant, c'est le fond. Les problématiques évoquées dans ces Contes sont bien souvent en lien avec des problèmes de société de l'époque qui ne sont toujours pas résolus dans notre monde actuel, soit plus de 500 ans plus tard ! La polygamie, le mariage pour tous pour ne citer que ces deux-là. Comme quoi, être une tarlouze n'a rien d'une déviance de notre société détraquée mais est un fait vieux comme le monde. Sans compter que ces comportements de pd de merde existent aussi depuis la nuit des temps chez nos amis les animaux, et encore je ne parle pas des hippocampes chez qui les rôles sont inversés dans la reproduction. Je me demande ce que Christine Boutin pense des hippocampes. Tout ça pour dire que malgré ces 500 ans, ce bouquin n'a rien de poussiéreux ni de pénible comme on pourrait le penser. Les problèmes de ce siècle sont les mêmes que les nôtres, ce qui a un côté assez désolant. C'est un bon pavé, ça demande des efforts mais comme j'aime le croire pour tout livre, la moitié du boulot est faite par l'auteur, l'autre moitié doit être faite par le lecteur.
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